Menace asymétrique - Noomi

Après avoir quitté le Simba, tu regagnes ton repaire, consciente d’avoir prise la patte de ta cible du jour dans ta toile. *Ananasi*, repenses-tu avec un sourire. Ce que les Ovides peuvent être stupides. Ils ignorent tellement de choses.

Reprenant ta forme favorite, tu en profites pour remonter les fils de l’Umbra pour regagner ton Sylie. Il ne te reste plus qu’à patienter pour que les Ovides reviennent vers toi. Ainsi sera faite la volonté de la Reine-mère. Nichée dans ton abri protecteur, tu peux percevoir les fils de la Grande Toile vibrer. Cette vibration a un aspect asymétrique qui te perturbe. Quel est le mal qui s’éveille. Ton Aspect te permet aisément d’en ressentir les émanations chargées de la puissance du Ver, mais tu ne parviens pas à en déterminer la forme. Une frustration évidente.

Lorsque la Reine-mère t’a contacté à travers la toile d’Ananasa, un honneur parmi les Dahmàns, sa volonté de te joindre à un groupe d’Ovides t’a d’abord paru incongrue. Mais les lois sont claires : on ne discute pas les désidératas de la Reine-mère.  Elle t’a donné le nom de deux Ovides dont tu dois te rapprocher : une Mokolé qui se fait nommée Nihahsah dans la société des humains, et un Lupin appelé Gipsy. Un lupin. Voilà fort longtemps qu’ils ont été chassés de la toile africaine. Elle t’a aussi fait savoir qu’un rejeton du Ver était sur le point d’être éveillé par ses sbires, et que tu devais faire tout ton possible pour éviter que cela n’advienne. Cela perturberait la Grande Toile.

Tu as bien évidemment acceptée la mission qui t’a été confiée. Comment pourrait-il en être autrement ? Tu règnes sur cette ville, rien ne doit en perturber le fragile écheveau que tu maintiens.

Activant tes contacts, tu as retrouvé la piste de la Mokolé, et autre surprise, tu as découvert que le Pride de Black Tooth, le célèbre Simba est actuellement à Lagos.

Sur ta toile.

Pourquoi ? Tant de mystères auxquels tu brûles d’apporter des réponses. Coïncidence ou non, la femme-lézard a pénétré sur ton territoire en compagnie de ce jeune Dajan. Et plus étonnant encore, chassé par un confrère de ce dernier. Encore un mystère. Mais tu as commencé à tisser ta toile pour que les protagonistes se rapprochent de toi. Les yeux de tes sœurs sont partout en ville, ils ne t’échapperont pas.

Il te faut maintenant en savoir plus sur ce que cherche le vieux Simba ici. Et ça tombe bien, tu sais que l’un des membres de son Pride est en quête de savoir antique. Or, la toile étant bien faite, il se trouve que ton repaire est la seule bibliothèque entretenue de la capitale du Nigéria.

Arrimée à la toile de ton Sylie, il ne te reste plus qu’à attendre qu’elle franchisse la porte de ton repaire.

Ce qui arrive vers 21 heures, lorsque la clochette de la porte de la bibliothèque retentit. Tu n’as aucun mal à la reconnaître selon les informations transmises par tes sœurs : petite mais élancée, Anaphie porte les traits typiques des membres de l’ethnie Punu. Son visage est marqué par des scarifications rituelles que tu devines occultes. Elle regarde les maigres rayonnages, avec un peu de dépit, puis interroge d’une voix impatiente :

- Kokoko! Il y a quelqu’un ici ?

Suspendue au centre de mon réseau de fils, j'esquisse un sourire mental lorsque la sonnette de la bibliothèque m'indique que ma première prise de la soirée vient de se jeter dans mon antre.

Prudente mais rapide, je glisse discrètement hors de mon Sylie sous les traits d'une femme africaine d'une trentaine d'années aux traits assez communs mais à l'aura presque hypnotique. Je fais ensuite lentement le tour du dédale des rayonnages chaotiques qui pourraient paraître presque abandonnés, mais qui constituent pour moi autant de rayons de toile dans lesquels mon impudente proie s'est déjà empêtrée. A couvert de la pénombre ambiantes, je tourne autour d'elle tout en l'observant, sans qu'aucun de mes pas ne vienne briser le silence de ma tanière.

Un sourire de prédatrice joue quelques secondes sur mes lèvres. Anaphie. Une des acolytes de la meute de Sa Majesté autoproclamée Black Tooth. Une clé qui s'offre à moi pour résoudre l'un des mystères qui agitent la Toile tentaculaire de Lagos. Et à ce que je peux en constater avec un certain dédain, sûrement une de ces petites Sorcières Punus. Notant donc mentalement de me montrer prudente dans les transactions avec cette "invitée", je finis ce ballet spiralé potentiellement mortel en silence, avant de me décider finalement à répondre :
- «Ina...», lancé-je de façon assez ironique dans la langue des affaires de l'Ouest, depuis la pénombre située derrière elle. Le mot exhale les inflexions basses et presque suaves d'une voix au parfum capiteux et épicé, et se termine lorsque je coule mon visage hors des ténèbres, adoptant une moue espiègle tout en tapotant mes index devant ma bouche : «...Tu cherches un ouvrage en particulier ?»

Anaphie n’a pas bougé de sa position tandis que tu tournais autour d’elle jusqu’à ce que vos deux silhouettes ne se retrouvent face à face au moment où tu le désires. La femme te toise de son regard noir, implacable. Il se dégage d’elle une puissance non pas physique, mais surnaturelle. Ses oreilles sont percées de larges cercles pleins en bois, tout comme son cou et ses poignets  sont ornés de bijoux du même acabit. Elle porte un pagne aux couleurs sombres, mélange habile de gris et de dégradés de noirs qui se fondent par endroit avec la couleur de sa peau. Son nez légèrement troussé se plisse un peu. La même impatience se fait sentir dans ses mots prononcés avec précision :

- On m’a indiqué cette librairie, dit-elle de sa voix flûtée. Son regard se porte sur les rayonnages. Mais sans doute s’est-on fourvoyé…

Elle se détourne de manière à t’exposer son profil, et parcourt les titres de quelques-uns des ouvrages.

- J’écris une thèse sur la tribu Awori, qui peuplèrent la lagune bien avant la construction de la ville. Il est dit qu’on les appelait les hommes poissons, car ils vivaient aussi bien sur terre que dans l’océan. Ils étaient les gardiens d’un… savoir ancestral. Son doigt parcourt l’une des étagères, tandis qu’elle se déplace pour lire les titres des livres en rayonnage. Certains attribuent leur magie à l’Iboga, d’autres non…  Il y a assez peu d’écrits à ce sujet…

Elle finit par se retourner pour à nouveau te faire face :

- Mais j’imagine que vous n’avez pas ce genre d’ouvrages ici?

L’Iboga. La plante sacrée des sorciers pygmée depuis des temps immémoriaux. Tu disposes bien sûr d'un ouvrage occulte sur le sujet dans ta bibliothèque personnelle, écrit en langue bantou. Bien que l’intitulé du livre soit difficilement traduisible en anglais, la signification approchante serait « Le passage ». Les rites qui y sont décrits permettraient au consommateur de l’Iboga de voir le monde des Esprits, et de communiquer avec les entités qui le peuplent. Par contre, il n’est nullement fait mention à un peuple d’hommes-poissons, même si tu n’as aucun mal à comprendre la référence aux Rokéas. On sait d'ailleurs peu de choses sur les Rokéas et leur parentèle. A ta connaissance, leur présence est nulle dans Golfe de Guinée.

Le visage d’Anaphie affecte une moue déçue, comme dans l'attente d'une confirmation de ta part à sa supposition.

Seuls mes yeux bougent afin de mieux disséquer ma proie du regard tandis qu'elle s'exprime et se déplace. Son apparence et son attitude me confirment seulement ce que je devinais déjà de prime abord : cette femme est sûrement une Mystique Punu en plus d'être une membre de la meute du Simba noir. C'est d'ailleurs probablement lui qui l'envoie, et elle ne doit pas être à sa première visite de la journée, au vu de son impatience qui m'indique aussi une faiblesse de caractère que je m'empresse de noter avec un petit rictus satisfait. Je devine que la petite Sorcière se sent sûrement assez compétente et haut placée dans la meute de Black Tooth pour s'imaginer que sa place n'est pas à écumer toutes les Bibliothèques Occultes de la ville, surtout celle-ci qui n'est pas d'une apparence irréprochable et pourrait sembler assez mal fournie...Du moins dans ces rangées là.

Son petit baratin sur les Aworis -une ethnie Yoruba à l'origine de Lagos- et les "hommes poissons" m'amuse mais je n'en montre rien, me contentant d'un sourire énigmatique tandis qu'elle continue son explication qui a visiblement pour vocation de critiquer cette Bibliothèque, mes compétences, ou plus probablement les deux. Mais dans la pénombre elle me dévoile de plus en plus cette fierté et cette impatience dont je me délecte un peu. Son petit jeu visant probablement à m'agacer est distrayant. Les Ovides sont décidément des créatures peu subtiles, même les plus mystiques.

J'observe d'ailleurs au passage la présence spirituelle dans et autour de la jeune femme, estimant si je le peux sa puissance ainsi que ses éventuels auxiliaires.

J'avais parallèlement pris le temps de réfléchir avec appétit à l'énigme que constitue sa présence et celle de la meute de Black Tooth sur mon territoire, au vu des renseignements qu'elle me dévoilait à demi-mots. Ils étaient semble-t-il à la recherche de quelque chose concernant probablement un rituel, une cérémonie ou autre chose en lien avec les Hommes-requins, lié ou non à l'utilisation d'Igoba. L'Igoba étant destiné à voir et communiquer avec le monde spirituel, il devait probablement s'agir d'un rituel ou d'un "savoir" qui devait impliquer une interaction avec un ou des esprits puissants. Peut-être des Océans, étant donné la nature des Rokéas. A moins bien sûr que la belle Punu ne soit une très bonne dissimulatrice, mais son attitude m'indiquait plutôt le contraire.

Une partie de la Toile qui se tissait ici se dévoilait devant mes yeux, et de façon intuitive je la reliais aussitôt à d'autres évènements actuels. Peut-être n'était-ce qu'une simple coïncidence. Peut-être que tout cela n'avait rien à voir avec le réveil ce rejeton du Ver et ses acolytes, ni avec la présence simultanée de ces garous dont j'avais la charge de contacter certains. Mais tout cela me semblait constituer beaucoup d'anomalies pour n'être dû qu'au simple hasard. Concept dont j'avais appris il y a bien longtemps qu'il n'avait qu'un pouvoir bien limité sur la Toile du Destin. Mais quel était donc ce mystérieux lien qui pouvait unir la meute du célèbre Simba Black Tooth, une entité du Ver sur le point de se réveiller, une femme-lézard, Un chaton pourchassé, un Loup dont la race avait été exilée d'Afrique, un rituel spirituel, et les Rokéa ? Même si la réponse n'était pas précise, certaines pièces se mettaient en place, et les raisons impliquaient sans nul doute de gros enjeux surnaturels dont la somme pouvait ébranler l'équilibre de mon territoire. Tant de questions et de fils invisibles qu'il me tardait maintenant de découvrir.

Mais la patience étant une vertu de mon ascendance, je décide de commencer par le commencement, à savoir la réponse à donner à Anaphie, que je semble dévorer du regard depuis quelques secondes sans lui répondre. Lui donner ce qu'elle attend était peut-être la solution pour en apprendre plus sur leurs recherches. Mais aussi éventuellement des renseignements très (trop ?) utiles pour le rituel qu'elle semble rechercher, et cette action pourrait avoir de fâcheuses répercutions sur la suite...D'autant qu'attirer l'attention de la meute de garous sur mon antre et sur moi me semble une terriblement mauvaise idée. J'ai toujours préféré l'ombre à la pleine lumière, surtout lorsque j’accueille des prédateurs dans mon refuge.

Après avoir soupesé différents scénarii dont certains trop offensifs que j'élimine d'office vu les capacités que je devine chez cette Garou et les probabilités de la capturer vivante, je décide donc finalement de feindre l'innocence pour l'amener à quitter les lieux. Il serait temps ensuite de découvrir ce que Black Tooth et les tempêtes pouvaient bien manigancer à Lagos avec ce rituel et pourquoi, pour ensuite profiter de mon avance de connaissance, tout en les en privant.

Je me décide alors à avancer vers Anaphie. Innocemment, je passe devant elle en la frôlant presque (ces rayonnages sont décidément très étroits...), imprégnant mon odeur épicée et ma présence hypnotique, fronce les sourcils après lui avoir décoché un petit sourire (tout sauf) innocent, puis me mets en quête d'ouvrages d'un air concentrée :
- «Aworis...Aworis, oui bien sûr...Des "hommes poissons", vous dites ?...Mmmm...Igoba, igoba...», je sors trois livres que j'empile sur une table : "Secrets Mystiques de l'Afrique" écrit en Anglais, "Les Aworis et leurs secrets" écrit en langue africaine, et "Magie : Chamanisme : l'Igoba, plante Mystique, Arbre de vie", et les lui montre en les étalant avec un air de triomphe : «Ah ! Nous y voilà...Alors...Dans celui-ci il y a je crois un chapitre sur les cérémonies chamaniques des Aworis...Voilà, ici...», dis-je en désignant une page de l'ouvrage sur les Awori, «Ici, vous avez une explication détaillée de l'utilisation de l'Igoba par les chamanes de différentes tribus...», dis-je avec toujours autant d'entrain en secouant celui sur l'Igoba, «Et dans "Secrets Mystiques de l'Afrique", vous avez toutes les légendes existantes sur des créatures surnaturelles, notamment dans la région...».

Mon ton est relativement enthousiaste sans non plus en faire trop. Mon sourire enjoleur lui indique qu'elle ne m'est pas indifférente. Et ma quête du graal dans mon rôle de bibliothécaire est à son comble, avec une expression d'interrogation sur sa satisfaction clientèle. Evidemment, ces renseignements sont inutiles pour elle, mais peuvent donner le change d'une bibliothèque occulte un peu bas de gamme, comme certaines de celles qu'elle a déjà dû voir.

Mon masque est parfait. Intérieurement, je souris. Un sourire mental de la prédatrice manipulant lentement sa proie avec précaution tout en lui faisant baisser sa garde.

Le regard d’Anaphie étincèle brièvement lorsque tu évoques l’ouvrage sur les créatures surnaturelles. Si brièvement que cela aurait pu t’échapper si tu ne t’étais pas montrée aussi attentive. Elle saisit les ouvrages pour les compulser rapidement, tu notes tout de même qu’elle passe imperceptiblement plus de temps sur « Secrets mystiques de l’Afrique ». Le même air impatient agite ensuite son visage, tandis que ses yeux se reportent sur toi. Elle ne répond absolument pas à l’intérêt que tu lui portes, mais tu devines aisément qu’elle cherche à t’évaluer comme tu peux le faire avec elle. L’instant est fugace, mais il se joue énormément de choses tandis que vous vous faites face durant ces brèves secondes. Son seul mouvement est d’imprimer un quart-de tour à l’une de ses nombreuses bagues.

- Nous devrions cesser ce jeu, vous ne pensez pas ? Je ne tomberai pas dans votre toile et vous échapperez à mes griffes. Ne perdons pas notre temps.

Sa main se pose sur l’empilement de livres, mais ses yeux ne lâchent pas les tiens.

- Est-ce que vous avez des ouvrages intéressants sur mon sujet de recherches, et si oui quel serait votre prix pour les consulter ?

L’atmosphère s’est brutalement tendue, comme si la Fauve avait subitement décidé d’abréger le balais que tu as mis en place.

Mon attentive scrutation spirituelle de la jeune Bastet ne m'apprend rien. Vraiment. Rien. Je tressaille intérieurement une seconde. Cette fille est plus maline que je ne le pensais, mais impossible maintenant de tisser un autre plan, il faudra faire avec les fils à disposition en s'adaptant.

Le regard de la Punu m'en apprend toutefois plus sur ce qu'elle semble réellement chercher. Elle tique discrètement sur "créatures surnaturelles", et la suite semble donner raison à mon observation. J'esquisse un sourire mental mais ne montre rien. Puis lorsque ses yeux de farouche petit félin reviennent sur moi, ce n'est pas pour y porter -comme n'importe quelle mortelle l'aurait fait- un regard libidineux ou gêné, mais bien pour me jauger.

Nos regards se figent, le temps suspend son balancier quelques fugaces secondes dans une tension qui ne s'expriment que dans le fond de nos prunelles derrière lesquelles se cachent nos natures inhumaines. Je souris quand elle se décide enfin à arrêter ce pugilat mental inutile et annonce avec une impulsivité et une impatience prévisible qu'elle connait ma nature, tout ce que cela implique, puis me pose à nouveau la question mais cette fois en y mettant les formes.

Le choix entre danger et opportunité semble s'inverser. Coup du sort ou Destinée. Ecouter les Signes lorsqu'ils se présentent n'est pas toujours la meilleure idée. Mais je finis par croire que finalement, le jeu en vaut peut-être la chandelle. Et ma curiosité l'emporte encore une fois sur mon bon sens.

Je la scrute encore quelques secondes, et mon masque se fissure un instant dans la pénombre, dévoilant un petit sourire en coin tandis que je m'approche pour regarder sa bague de plus prêt :
- «...Maline petite chatte», murmuré-je comme pour moi-même, avant de remonter un index à l'ongle noir sur mes lèvres pulpeuses en les tapotant doucement d'un air pensive, assez prêt d'elle pour qu'elle puisse sentir mon parfum : « Mmm...C'est une proposition intéressante...Mais qui demande réflexion.».

Encore un silence habité seulement de mon tapotement : «Vois-tu, je ne suis pas de nature très partageuse lorsqu'il s'agit de ce genre de connaissances. L'information est quelque chose de précieux. Bien sûr, je peux te l'obtenir...», dis-je avec un air de confiance en plissant un peu les yeux : «...Tu as piqué ma curiosité avec ton histoire. Et j'aime toujours une bonne histoire. Du moins quand elle est complète, et vraie...», rajouté-je avec un sourire sibyllin : «Alors voilà mon prix, ma mignonne Punu : dis m'en plus sur toute cette affaire de rituel des Rokéas et pourquoi tu tiens tant à obtenir ces connaissances perdues. Si tu es honnête avec moi, je partagerais avec toi ce savoir. Sinon...Eh bien, tu as su trouver ton chemin jusqu'ici...», finis-je avec un regard amusé en lui indiquant la sortie du menton.

La réaction d’Anaphie est fulgurante et te prends totalement au dépourvu. Son bras, tout en musculature fine et nerveuse, t’attrape au niveau de la gorge et te projette contre l’une des étagères avec suffisamment de puissance pour presque la renverser. Elle crache les mots qui suivent dans un feulement :

- Ecoutes moi-bien petite putain arrogante! Je ne suis pas ici pour jouer à un petit jeu avec toi. Ses yeux brillent d’une lueur malsaine, presque au bord de la frénésie. La vérité ! La vérité c’est que je suis envoyée par ton Roi pour en savoir plus sur le passé de cette ville infecte, qui pue la corruption.

Les traits de son visage se détendent légèrement, tandis que sa tête penche un peu sur le côté tandis qu’elle paraît t’observer attentivement pendant quelques secondes. Un sourire satisfait vient calmer son accès de brusque fureur. Elle reprend d’un ton bien plus calme, mais où pèse lourdement la menace:

- Tu vas me dire tout ce que tu sais. Si tu es assez intelligente pour ne pas mentir comme le font ceux de ton espèce, je ferai en sorte de pas foutre le feu à ta toile.

L’étau de sa poigne ne se desserre pas autour de ton cou tandis qu’elle continue de t’observer avec une colère mise en sourdine pour laisser la place à une curiosité avide.

J'attendais un faux pas, comptant sur la Rage qui habite les Ovides et le caractère encore plus impulsif de celle-ci. Je ne m'attendais par contre pas à ce qu'elle se laisse aller à ce point. Je note de mesurer la force de mes propos avec cette Anaphie, au risque de devoir l'éliminer, ce qui ne me semble pour l'instant pas une bonne idée vu la tournure des événements et ce que je devais apprendre d'abord pour évaluer la menace qu'ils représentaient.

Je ne bouge pas, tétanisée et affichant un masque de surprise et de peur tandis qu'elle crache sa rage primale. Je note sa remarque sur la Corruption avec un petit sourire mental satisfait, et la laisse décharger sa fustration sur ma bibliothèque et ma gorge tandis qu'elle décline son petit jeu en menaces physiques et tente de m'impressionner avec l'ombre sa Majesté, pour finir par menacer directement l'intégrité de mon antre...Le problème avec les Ovides c'est qu'ils adorent proférer des menaces et intimider à tout bout de champs. Mais la malédiction de leur rage surnaturelle ne leur permet pas de comprendre les nuances et subtilités de l'Art de terroriser une proie. Ce qui se finit invariablement par des démonstrations de violence physique assez vaines sur une Damhàn comme moi, et par tout un tas de paroles vides de sens. Une intimidation brute, primaire. Et surtout stupide.

Ma petite expérience arrivant à son terme, j'observe l'envoyée de Black Tooth d'un regard furibond mais où perce un voile de crainte dans mes yeux noirs, tenant de mes deux mains graciles son poignet trop musclé, cherchant en vain à me dégager de sa poigne. Je feins alors cette position de soumission si chère à ces prédateurs félins, lui permettant de croire qu'elle est en position de dominante, noyant ses craintes et ses doutes dans ce sentiment de victoire par la sauvagerie de sa tactique. Bref, je lui montre clairement qu'elle a gagné. J'exhale alors mon haleine épicée alors que je recompose mon masque de nonchalance, laissant tout de même filtrer la crainte qu'elle devrait m'inspirer :
- «Si c'est...Sa Majesté qui...T'envoies...Voilà...Qui...Change tout...», dis-je avec difficulté. Il y a une déférence dans mes paroles qui tient autant à la situation qu'au respect de la peur que semble m'inspirer son cruel et tyrannique Chef de meute. Mon regard la fixe ensuite avec un reste d'amour propre (les prédateurs ne respectent pas une proie trop soumise), puis lâche en tenant toujours son poignet : « Tu veux bien..?», finis-je en lui désignant sa main sur ma gorge.

Constatant de manière prévisible qu'elle ne fait que relâcher l'étreinte de ses doigts puissants sur ma gorge sans lâcher pour autant sa prise, j'ai un soupir, autant pour reprendre ma respiration qu'une certaine lassitude en levant les yeux au plafond. Je semble pensive quelques secondes, puis lâche sur l'air de la capitulation :
- «...Très bien. Je vais te dire ce que tu veux savoir, envoyée de Black Tooth...», avant de rajouter avec une pointe d'agacement et un regard vaguement menaçant : «...Mais tu devrais te montrer prudente pour la suite de notre...Relation, petit chat. Son Altesse ne nous a jamais ouvertement voulues comme ennemies. Il y a une raison à ça...». Après ce court moment de défiance, je continue sur le ton du récit : « Je ne sais rien de Rokéas à Lagos. Nous n'en avons aucunes traces...», je marque un petit silence avant de continuer : « Mais je dispose effectivement d'un ouvrage écrit en Bantou. "le Passage". Des rites pour ceux qui consommaient l'Iboga...Des rites qui permettaient de communiquer avec le monde des Esprits...». J'arrête là mon "teaser" comme disent les mortels, et l'observe quelques secondes d'un air songeur, avant d'ajouter sur un ton tentateur : «Tu y trouveras sûrement une partie de ce que ton Maître cherche...Veux-tu le consulter ?»

l'air afflue à nouveau dans tes poumons tandis que les doigts de la Bastet se desserrent sans pour autant relâcher complètement l’étreinte. A nouveau, sa tête s’incline légèrement sur le côté, comme si elle cherchait à percer la vérité dans tes propos. Satisfaite, elle te libère enfin de son emprise, puis te répond sans se départir de ce feulement qui caractérise sa façon de s’exprimer :

- Ne t’avises plus d’exiger quoi que ce soit de moi, m’as-tu bien comprise ?

Cette fois-ci, elle s’écarte de toi complètement et souffle :

- Montres-moi ton livre. Ses yeux parcourent à présent les étagères, comme absorbé par les différents titres qui s’y trouvent. Elle semble avoir évacuer tout aussi rapidement votre affrontement physique que celui-ci avait commencé. C’est sur le ton de l’indifférence qu’elle ajoute : J’ai ouïe dire que ce quartier a vécu une après-midi mouvementée… Tu n’es au courant de rien ? La question n’en est pas vraiment une, vu le ton employé et son regard noir brillant qui se reporte sur toi.

Alors que tu t’apprêtes à te rendre dans la pièce arrière, et à répondre ou non à la dernière interrogation, ta vision protéiforme t’alerte d’une anomalie dans la symétrie de l’Umbra. Un nombre croissant d’Esprits commencent à se masser autour de ton repaire. Des esprits du Ver….

La fureur de la jeune garou semble me passer totalement par dessus la tête, mais je fais bonne figure en me massant la gorge et en m'exécutant. Sa question est intéressante, et son ton rhétorique l'est encore plus sur le sens de celle-ci. Je reste un instant silencieuse, puis commence à répondre en commençant à marcher d'une voix légère :
- «Il se raconte des choses, en effet...». C'est à ce moment là que ma vision spirituelle détecte les esprits du Ver qui s'amassent sur mon repaire comme un seul Serpent appâté par un fruit mûr. Je plisse les yeux presque imperceptiblement. Mon repaire est maintenant menacé par la faute de cette petite sotte d'Ovide qui les a amené jusqu'ici. Même si mon plan premier était de lui soutirer des informations, il devient évident que la conclusion de cette rencontre risque plutôt de se solder par sa mort, et peut-être la mienne. Un risque que je ne courrai pas.

Je regarde encore une seconde les esprits affluer vers mon antre, soupesant les fils ténus de la Destinée qui m'offraient ici des opportunités, le tout étant d'en choisir la plus bénéfique pour moi et pour ma mission. Les opportunités commencent à former une toile de choix plus visibles.

J'observe alors vaguement Anaphie en coin derrière moi, puis annonce d'une voix devenue étrangement plus sérieuse, mais non sans une pointe ironique :
« Si tu n'as pas particulièrement d'affinité avec les Esprits de l'infection et de la puanteur dont tu parlais tout à l'heure, je te conseillerais la fuite...Je peux te montrer une autre sortie, si tu le désires...»

Si le regard de l’Ovide brille d’abord de curiosité à l’évocation des évènements de la journée, il est ensuite traversé par la suspicion lorsque tu parles à demi-mot des Flaïels qui s’accumulent dans l’Umbra autour de ton royaume.

- Petite traînée, tu m’as…

Elle se retourne subitement vers la porte d’entrée dont elle est la plus proche. Au même instant, tu perçois le son caractéristique du moteur d’une grosse cylindrée devant ta boutique. Lestement, Anaphie se précipite sur toi. Un instant tu penses qu’elle va à nouveau s’en prendre à toi, mais elle crie dans le même mouvement : « A terre ! » avant de te bousculer au sol, joignant l’acte à la parole. Tu peux remercier son geste, car deux secondes après une pluie de métal chauffée à blanc pulvérise la devanture de ta bibliothèque, criblant au passage livres, murs et décorations pour ne rapidement en laisser que des miettes éparses qui vous retombent dessus alors que vous tentez de vous protéger du feu du, ou des, assaillants.

Par-dessus le vacarme du déluge de feu, Anaphie te glisse :

- Je suis preneuse de ta voie d’échappatoire tout compte fait.

L’assaut s’arrête alors aussi brusquement qu’il a commencé. Deux projectiles traverse simultanément la vitrine éventrée pour rebondir au sol, à moins d’un mètre de vous.

- Grenade ! Feule Anaphie en essayant de se relever pour se précipiter vers l’arrière-boutique.

Je soulève un sourcil arqué vaguement amusé à son insulte, mais l'arrêt dans sa phrase me fait tressaillir en suivant le regard qu'elle jette à ma vitrine sale et à la porte d'entrée assortie. Une voiture.

Ils sont là.

Mais Anaphie ne me laisse heureusement pas le temps de la réflexion, tandis que je sens son poids étrangement lourd pour sa taille me tirer vers le sol avant même que je ne réagisse. Mais au lieu d'essayer de se venger de ce qu'elle aurait pu penser être une trahison, elle décide de me "sauver la vie" dans le cri d'une phrase totalement inutile, suivie des stacatos caractéristiques d'armes à feu automatiques. Puis le concerto se finit aussi subitement qu'il a commencé, laissant ma vitrine sacagée par ce déluge.

Étrange...

La Punu a alors une réplique sarcastique sur notre sortie de ce gruyère qu'est devenu mon refuge par sa faute. La colère et l'adrénaline se mélangent, mais une colère froide l'emporte vite. Cette Ovide les a amenés ici. Et c'est impardonnable.

Mais au moment où elle feule, je révise mes priorités immédiates. Pas le temps pour un autre plan, je saute sur mes pieds d'un bond et l'emporte vers la porte de derrière aussi vite que ce que mes jambes peuvent le faire, tout en lâchant sur un ton énervé malgré l'urgence de notre fuite :
- Suis moi...Ces sales petits parasites putrides..., finis-je tout en courant vers notre porte de sortie, me demandant vers où tout cela me mène. Et comme toutes les représentantes de mon espèce, je ne suis pas très friande de surprises...

Tu entraînes Anaphi à ta suite lorsque les grenades déclenchent. Par chance, tu es miraculeusement protégée de l’explosion, mais le souffle en espace confiné te propulse plus vite que prévue vers ton issue de secours, au point où tu cognes le bois de la porte. Etourdie, tu parviens sans trop de mal à te relever, constatant par là même que tu ne souffres pas d’autres blessures que de simples contusions. Ton hôte ne semble pas avoir bénéficié de la même chance. Allongée sur le sol à moins d’un mètre de toi, Anaphie ne s’est pas encore remise sur pieds. Et pour cause : c’est elle qui a dû amortir le plus gros du choc, et cela n’est pas resté sans conséquences pour son intégrité physique. Son dos est déchiré par des éclats de bois et de métal et, de là où tu te situes, tu constates qu’un filet de sang s’écoule de ses oreilles. Elle respire encore, péniblement.

Tu en es là de tes observations lorsque la porte avant de ta boutique s’ouvre comme d’elle-même pour laisser filtrer un rai de la lumière du jour, fragmentée par la poussière qui a envahi ton repaire. Les assaillants se montrent prudents, ce qui est déjà un indicateur sur le type d’ennemis auxquels tu fais face. Pour l’instant, seul le canon d’une arme n’est visible dans l’entrebâillement de la porte. Pour combien de temps ?

Projetée contre le chambranle de notre sortie, je me retourne en me massant le front, une moue mauvaise flottant sur mes lèvres :
- Foutues p..., mais je ne finis pas ma phrase en constatant que ma seule auditrice halète sur le sol. J'ai un léger soupir en levant les yeux au ciel :
- ...Ah, ces Ovides...
Accroupie les mains au sol dans une pose rappelant ma vraie forme, je reste là un instant les yeux plissés à me laisser tenter par divers scénarii où je la laisse pourrir sur place, avant d'apercevoir le rai de lumière annonçant l'arrivée des vermisseaux, visiblement disciplinés, prudents et déterminés à supprimer notre petite chatte à tout prix, ainsi que tous ceux qui se dresseront contre eux. Mes dreads se tournent alors plusieurs fois alternativement vers le canon, puis vers Anaphie. Je finis par soupirer d'exaspération en approchant d'Anaphie, puis lui glisse dans un murmure en tentant de la porter vers la sortie le plus discrètement possible :
- Estimes toi chanceuse, petite chatte...Et arrêtes de tâcher le sol avec ton sang, s'il te plait...

Inondé de retombées volatiles composées tant de poussières que de morceaux de papiers en lambeaux, ton repaire n’est plus qu’un champs de ruines. Plus agaçant encore, tu peux sentir que les fils tissés de ton Sylie subissent eux aussi une agression dans le royaume des esprits. Il te faudra faire confiance aux défenses que tu y as mise en place, car la réalité physique ne te laisse pas le temps de t’en charger. Tu secoues la tête inconsciemment, tout ceci rompt l’équilibre de la toile. Ce n’est pas acceptable.

Ton corps arc-bouté sur celui-ci d’Anaphi pour la traîner par la sortie arrière, tu constates que le petit gabarit de celle-ci, malgré une force dont elle a déjà fait preuve, n’est heureusement pas trop lourd pour tes maigres moyens en la matière. Deuxième observation, les éclats qui ont criblé son dos commencent à s’éjecter des plaies comme par eux-mêmes, sous le pouvoir mystique de régénération de la plupart des changes-formes. Fascinant.
Ca ne suffit pourtant pas à la remettre sur pieds et ses yeux sont toujours scellés. Les tympans encore martyrisés par l’explosion, tu as l’impression de faire un bruit terrible, mais un rapide coup d’œil t’apporte la preuve que vos agresseurs n’ont pas encore pénétré dans la boutique. Incongrument, un vieux proverbe de ton peuple te revient en tête : « Quand un arbre tombe, on l'entend ; quand la forêt pousse, pas un bruit. »

Après quelques secondes d’effort, tu parviens à vous extraire dans l’arrière-cour, quittant l’obscurité de la boutique pour un soleil aveuglant qui te fait mal aux yeux même en ce début de soirée. A moitié sourde, tu distingues tout de même le staccatto d’une arme qui fait feu dans votre direction, confirmé par le béton qui part en poussière à quelques centimètres de votre position. Vous ne pourrez pas leur échapper longtemps…

Anaphi a ouvert les yeux. Elle semble désigner d’un doigt un espace entre une poubelle et un arbre à quelques mètres de vous, suffisant pour vous accueillir toutes les deux, mais loin de pouvoir vous dissimuler, même à un regard rapide.  La Bastet te fait pourtant un signe de tête de confirmation. Sans autre choix, tu te traînes toi et son corps inerte à l’endroit indiqué. Pendant le court trajet, ta compagne d’infortune a  saisi un colifichet en bois précieux à son cou, et elle fredonne dans un dialecte que tu ne connais pas.

A peine massées l’une et l’autre dans l’espace exigüe laissé par le tronc d’un arbre centenaire et le plastique brûlant de la poubelle, vous voyez deux hommes surgir par la porte arrière. Tous deux portent des fusils mitrailleurs,  et des tenues militaires qui les identifient comme appartenant à une organisation paramilitaire. Malgré l’étourdissement, tu distingues nettement le blason « Black Cobra » sur leurs uniformes.

Anaphi, elle, n’a pas cessé sa litanie, mais les deux hommes ne semblent rien remarquer. Mieux, alors qu’ils balaient les environs du regard en passant très nettement sur votre position, ils paraissent ne rien remarquer, comme si vous n’étiez pas là.  Ils se parlent l’un à l’autre, et tu crois reconnaître la langue des Peul, sans en être certaine. Puis, à ta grande surprise, ils quittent l’arrière-cour où vous êtes pourtant particulièrement exposées pour retourner dans la boutique. A bout de force, Anaphi relâche son colifichet et perd connaissance. Immobile de longues minutes, tu finis par avoir la certitude que vos assaillants sont repartis. Mais, même encore prise dans la nasse auditive de l’explosion, tu entends aussi le bruit des sirènes des forces de Police de Lagos en approche.

Accroupie, la tête d'Anaphi sur les genoux, j'attends que les vermisseaux se décident à s'en aller ou à revenir. Une vague de haine froide m'envahit à la pensée de laisser mon repère à la merci de ces mercenaires du Ver et de leurs tentacules putrides. Mon repaire. Je regarde une seconde la responsable de cette situation, faisant courir un ongle sur sa gorge tout en m'imaginant un certain nombre de tortures que je pourrais infliger à cette Punu inconsciente. Mais les ordres de ma Reine et mes objectifs me ramènent sur un chemin malheureusement plus raisonnable. Elle pourrait encore s'avérer utile pour en apprendre plus sur les objectifs du "Roi de la jungle" africaine.

Le éléments que je viens d'apprendre s'assemblent dans mon esprit, cherchant leur place dans la Toile. Les Rokéas. Un rituel pour contacter les esprits. L'iboga. Des serviteurs du Ver venus tuer Anaphi. L'écusson "Black Cobra". Une fois reliés aux informations que je possédais déjà, le tableau que cela forme ne me dit rien qui vaille. Ces mercenaires du Ver devaient être à la solde du groupe qui cherchait à éveiller le rejeton dont j'avais entendu parlé. Et visiblement Black Tooth et ses alliés constituaient une menace suffisante à leur plan pour envoyer un escadron de la mort à leur poursuite.

Je ne voyais toujours pas bien quelle était l'implication du groupe de la Mokolé, du Loup et du chaton, mais si la Reine voulait que je m'en rapproche, il était très probable qu'ils constituent des alliés, au moins temporaires, pour arrêter cet éveil. Mais dans tous les cas, il ne restait sûrement plus beaucoup de temps avant que cela arrive, et je devais absolument trouver une solution pour l'empêcher.

Toutes les informations tournaient en rond dans mon esprit à la recherche d'informations supplémentaires, mais les sirènes de police mettent fin à ce petit apparté mental. Je soupire doucement en caressant la gorge de la Sorcière Bastet :
- "C'est assez agaçant toutes ces interruptions, tu ne trouves pas ?"

Avisant différents plans, j'en arrive à la conclusion qu'il vaudrait mieux qu'Anaphi soit éveillée. Visiblement les blessures se sont refermées mais la belle au bois dormant est encore au pays des songes. Mes yeux noirs prennent une apparence de verre poli une seconde avant que ma main parte violemment sur sa joue dans une baffe monumentale :
- Réveilles toi, belle endormie. Tes "amis" sont repartis, mais la Police arrive...

Tu ne sais si ce sont tes paroles ou bien l’effet de guérison inhérent à certains change-formes, mais la petite bastet ouvre les yeux puis se redresse pour quitter ton giron. Ses yeux vaquent quelques secondes dans le vide, avant de faire le point et régler la mire. Difficilement, elle tente de se remettre sur pieds, vacille, puis finit par tenir la station debout. Son regard court sur les restes de ta boutique, sur la rue désertée toute proche et en direction du bruit des sirènes.

- Je ne peux pas rester ici…dit-elle d'une voix étouffée par les acouphènes.

Elle reporte alors son attention sur toiet tourne l’une des bagues à son doigt pour l’en retirer. Elle te la tend ensuite, dans un geste un peu brusque.

- Merci de ce que tu as fait pour moi. Avec ceci, nous sommes quittes. Si je dois te tuer lors de notre prochaine rencontre, je n’hésiterai pas, finit-elle avec un sourire crypté.

Sans rien ajouter ou même observer ta réaction, elle commence à s’éloigner d’une démarche lente. Même de dos, tu la vois triturer quelque chose au niveau de ses mains et alors qu’elle regagne la rue, elle disparaît simplement de ta vision.

Ton téléphone sonne précisemment à cet instant. Un numéro connu et bienvenu dans ta situation. Tu décroches :

- Bordel Noomi, qu’est-ce qu’il se passe? On vient de me signaler qu’un attentat s’est déroulé près de chez toi! Tu vas bien, est-ce que tu en sais plus? Furax, Joy Madaki parvient même à transpercer ta surdité passagère.

Tu t’apprêtes à répondre lorsque tu remarques une nuée d’Argiopes lobata qui descend de l’arbre auprès duquel vous vous étiez réfugiées quelques minutes plus tôt…. Apparemment ta vieille amie Temitope a décidé de te rendre visite au plus fâcheux des moments. Sachant que vous avez toujours rivalisé pour dominer Lagos, son arrivée est au mieux une mauvais surprise. De plus, elle semble tout droit arriver de la toile des esprits…. Trop de choses inattendues et imprévisibles aujourd'hui. Ce n'est pas satisfaisant.

Tandis que l'Ovide me tourne le dos pour s'en aller, un sourire narquois effleure mes lèvres :
- "Dis à ton Maître qu'il a une alliée pour punir ces vermisseaux..."

Je tourne alors les talons en enfilant la bague à mon annulaire droit, puis saisis mon téléphone dans l'écho des sirènes qui approchent inexorablement. Je vais avoir besoin d'un service, et je sais exactement qui pourra me le rendre. Alors que j'avance dans la contre-allée, le téléphone vibre dans ma main comme si la Toile du destin m'avait entendue. Je décroche et écoute la tirade de Joy avec un demi-sourire. Je m'apprête à répondre lorsque je les vois. Argiopes Lobata. Ce qui ne laisse aucun doute sur l'identité de celle qui m'épie. Tout cela n'annonce rien de bon, et cette succession d'évènements imprévisibles a le don de m'horripiler.

Je plisse un peu les yeux et répond à la policière :
- "C'était bien chez moi. Mais ne t'inquiètes pas, je m'en occupe. J'ai juste besoin que tu renvoies tes larbins à la niche tout de suite, et qu'ils ne s'intéressent pas à cet incident. Je te fais confiance pour faire ce qu'il faudra. Désolée, je vais devoir te laisser. A plus tard.", puis je raccroche et range mon téléphone sans plus de cérémonie pour revenir aux araignées qui s'amassent au pied de l'arbre. Un sourire énigmatique et carnassier étire alors mes lèvres pulpeuses. J'arque un sourcil et souffle en direction de la nuée :
- "Temitope. Quel plaisir. Tu tombes mal. Comme d'habitude...Qu'est-ce qui t'amène jusqu'ici ?"

La nuée des arachnides s’agglomère rapidement pour laisser la place à une silhouette aux formes généreuses mais vieillissantes. Au milieu de traits typiques de l’ethnie Yoruba, les yeux rusés de Temitope sont ceux d’une prédatrice patiente et terrible. Un grand sourire naît sur son visage devant le spectacle de désolation qui s’est substitué à ton repaire.

- Plaisir non-partagé, tu le sais Noomi. Par la toile de notre Mère bien-aimée, qui a eu la bonne idée de faire de ton nid cet amas de tôles fumantes ? Il gagnerait à être connu.

Assise sur le petit muret de béton, les jambes croisées, elle ne cache pas sa satisfaction et son plaisir. Sans attendre de réponse particulière de ta part, elle continue à minauder en ajoutant :

- Quoi qu’il en soit, je voulais t’informer que notre Reine me donne le contrôle de la ville. Elle guette quelque secondes ta réaction avec une pointe de mesquinerie avant de poursuivre : de toute évidence il va falloir t’absenter. Ananasa a une autre tâche à te confier. Le plaisir est manifeste sur le visage de Temitope. Enfin bref, je dois te remettre cela. Elle retire un collier en bois de son cou, dont le pendentif est une pierre creuse au sein duquel se niche une myriade de fils d’araignée dont l’un est d’or. Les mots de la reine sont les suivants : Suis le fil d’or qui te conduira vers la perle de l’Alliance de solaire. Ne me regardes pas comme ça, je ne suis que la messagère

Ta consoeur fait une moue faussement boudeuse, comme si ces mots n’avaient aucun sens pour elle, avant de te tendre ce qui ne peut être autre qu’un puissant fétiche. Temitope va pour faire demi-tour et vider les lieux puis se reprend :

- Ah oui, Ananasa a aussi dit que le fil d’or te conduirait d’abord au carrefour des oubliés dans le monde des Esprits, et que tu devais y attendre des Ovides pour les guider. Elle t’adresse un grand sourire malicieux : Bon courage! Ne t’inquiètes pas, je m’occuperai bien de ma ville en ton absence.

Cette fois-ci Temitope se retourne et s’en va après un dernier regard amusé vers les restes de ton repaire.

Debout dans l'arrière-cour, parée dans mon ample tunique noire et mon pantalon en cuir, j'observe ma rivale avec une allure de Reine. Je ne réagis pas spécialement à sa boutade sur mon antre, occupée par des problèmes plus importants que cette vieille arachnide défraîchie.

Mais je change vite d'avis après sa première phrase. Prise de cours, je prends mon air le plus neutre tout en analysant la décision de ma Reine après sa seconde phrase. Mais il faut que je me rende à l'évidence : les ordres de la Reine sont indiscutables, et cette vieille mue n'oserait pas inventer un mensonge pareil. Elle était bien trop maligne pour ça.

Je sors de mes pensées à sa troisième phrase et suis dubitativement son monologue jusqu'à ce qu'elle me tende le pendentif, que j'observe un instant en arquant un sourcil, avant de soulever mes Dreadlocks pour le mettre autour de mon cou, malgré la nausée que sa précédente porteuse m'inspire.

J'ai préféré ne rien ajouter à la verve tranchante de Temitope, conservant un masque neutre mais me délectant visiblement de ces secrets qu'elle ne connait pas. Visiblement, la Reine a décidé de ma priorité, et malgré ce que pense cette petite arriviste, il ne s'agit pas d'insulter mes compétences, mais au contraire probablement de sauver Lagos.

Je souris malgré moi à sa dernière phrase, et lorsqu'elle tourne les talons je glisse dans sa direction avec une moue ironique :
- « Gardes bien la maison, Temitope. Maman a du vrai travail, mais elle sera bientôt de retour avec une sucette, promis. »

Je baisse les yeux pour observer la bague en argent sertie d'un saphir sombre offerte par Anaphi, tendant la main pour mieux l'observer. Puis ma main remonte entre mes seins, laissant mes doigts fins parcourir le pendentif offert par ma Reine, qui s’est entremêlé à celui en forme de croissant de Lune doré que je portais déjà.

Après quelques longues secondes silencieuses, j'esquisse un sourire dénué d'humanité :
- « Mmm... Alors c’est ça, un anniversaire ? »
Puis je me retourne vers mon antre, affichant une moue contrariée :
- « Au prochain il faudra quand même penser à engager un service d'ordre pour la fête... »

Dans la nuit moite et les odeurs de calciné, je prends une longue inspiration. Il était temps de se mettre au travail. Ma forme change lentement, et je semble m’enfoncer dans le sol tandis que tout mon corps se transforme en énormes araignées noires et jaunes, qui s’affairent à tisser un passage dans l’Umbra. Les pattes habiles détissent peu à peu la réalité, qui s’écarte devant un portail sur lequel elles tirent avidement.
Le haut de mon corps se transforme lui aussi lentement, tandis que je lâche avec un petit rictus cruel :
- « Allons chasser… »

La totalité de mon corps dispersé en milliers d'arachnide s'engouffre alors dans la brèche, qui se referme derrière moi.

Pour toute réponse à ta dernière provocation, Temitope se contente d’un simple au revoir dédaigneux de la main, mais tu sais au fond de toi qu’elle redoute que tes mots soient plus qu’une simple bravade.

Peu importe, Mère Ananasa t’a confié une mission, et tu comptes bien la remplir quel qu’en soit le sens mystérieux.

La perle de l’Alliance Solaire. Tu réalises que cette suite de mots ne t’évoque pas le moindre souvenir de tes pourtant nombreuses lectures. Tandis que tu tritures tes deux nouveaux colifichets, tu décides une fois de plus de faire confiance à la clairvoyance de ta Reine.

Bientôt réduit à une masse d’araignées multiples, tu entrouvres les mailles du filet de la réalité pour t’enfoncer dans le monde spirituel. Ici la toile de Grand-Mère Arachnide est à la fois plus lâche et plus dense en fonction des endroits. Les fils de la trame de Lagos sont eux solides. Comme à chaque fois, tu découvre un décor binaire. Le reflet de la ville corrompue est un odieux mélange d'immeubles du centre-ville sordides et à moitié effondrés, et de taudis en planches de bois pourries qui sont autant de décombres nauséabonds propices à la constitution de Flétrissures et de Fosses où la misère humaine repaît les appétits voraces des créatures du Corrupteur. La mer est, elle, une tâche noire pétrole. Par contraste, la forêt constitue un cercle verdoyant autour de la ville, dont les couleurs vives et chatoyantes le disputent au gris sale de Lagos.

Tu mets quelques temps à le repérer, mais l’un des fils qui constituent la trame Umbrale brille d’une pâle lueur dorée. Comprenant que le fétiche que vient de te remettre ta meilleure ennemie t’indique le chemin à suivre, tu t’accroches de tes huit pattes à ce fil d’or et en suit le cheminement. Tu réalises rapidement que celui-ci te conduit dans le reflet Umbral de la forêt et tu t’y enfonces sans appréhension. Peu à peu la Tapisserie de Grand-Mère Arachnide s’effiloche et laisse la place à l’excentricité du Sauvage qui rompt la Symétrie. Fidèle envers ton propre engagement, tu poursuis la route sur ton fil d’Ariane jusqu’à son terminus sur la branche d’un Arbre à la verdure outrancière. Ici, La densité forestière s’étiole sur une sorte de Vallon paisible où un ruisseau aux eaux transparentes suit le cour de son lit sinueux.

Quelque peu décontenancée, tu ouvres tes sens aux alentours. Quelque chose approche. Tu le sens dans la vibration du fil de réalité auquel tu es toujours accrochée.

Menace ? Impossible à déceler pour le moment.

Les pattes des araignées qui me composent dans la grande Toile du monde spirituel s'accrochent au fil d'Or, suivant la mystérieuse Destinée confiée par ma Reine. L'Alliance Solaire. Une perle. Tandis que je glisse rapidement le long du fil au travers du reflet paradoxal des deux Lagos, mes pensées dérivent vers mes conjectures sur cette "Perle de l'Alliance Solaire". Un objet, sûrement un artefact. Et un groupe, dont je commençais à soupçonner l'identité. Et il me faudrait les aider à compléter cette quête. Même si la raison pour laquelle je devrais les aider à parvenir à trouver cette perle m'était encore inconnue, il me semblait commencer à distinguer un motif en rapport avec le rejeton du Ver et le Pride de Black Tooth. Tout cela ressemblait à une lutte, et Ananasa me montrait certainement la Voie pour que ses intérêts soient servis au mieux dans ce conflit.

Le décor ordonné de la Toile s'éfiloche pour laisser peu à peu la place au Chaos sauvage des bois. Je remonte encore le fil de la Destinée pour finir ma course sur la branche d'un arbre posé au milieu d'un calme vallon où coule un ruisseau au cour tout aussi tranquille.

Le Carrefour des Oubliés, me dis-je en me rappelant des paroles de ma Némésis. Plus qu'à attendre ces idiots, pensé-je avec un léger rictus mental en me concentrant sur les sens de mes araignées. Soudain je sens quelque chose approcher.

Décidant pour le moment de rester prudente, je laisse mes araignées se cacher et observer discrètement l'arrivée de ce que je suppose être cette fameuse "Alliance Solaire", mes chers petits bébés Ovides...