Danse avec les loups

Je regarde la guerrière de Gaïa, dont je ne connais même pas le nom, s'éteindre devant moi, attristée. J'écoute ses dernières paroles avec attention tant elle lutte afin de me dire ce qui lui est arrivé et ses paroles ne me surprennent guère.
L'homme blanc n'a cessé d'être un fléau pour l'Afrique après avoir détruits les Africains il est venu les déposséder de leurs terres, de leurs biens, de leurs âmes. Cette fièvre pour l'or noir au nom de laquelle ils tuent, pillent et corrompent. Cette même fièvre qui a jeté ma famille dans la tourmente et qui frappe sans indistinction d'une façon ou d'une autre tous ceux qui croisent son chemin. Néanmoins ce qu'elle dit ne me rassure guère.

Je regarde une dernière fois la louve, peinée malgré la rancœur qui m’anime de voir une âme dédiée à Gaïa s'éteindre une fois de plus. C’est le triste sort de bien des nôtres, un sort bien trop commun pour des espèces au bord de l’extinction… Lorsque je me retourne je vois que le loup a rattrapé le fuyard et s’occupe de son sort. Reprenant forme humain je me dirige vers lui lorsqu’il s’enfui à son tour sans même un regard en arrière. Sa réaction me laisse un instant interdite avant de réaliser qu’il restait peut-être d’autres assaillants, je me précipite alors derrière lui.

Un simple coup de poing suffit à écraser la tête de votre dernier adversaire contre le béton de l’entrepôt, laissant une trainée sanguinolente.  Gipsy en tête et Nihahsah à sa suite, vous vous élancez à la poursuite de l’étrange observateur. Celui-ci se précipite en direction des quais, mais sa démarche maladroite vous permet de quasiment le rejoindre alors qu’il arrive aux abords de l’eau.

Il se retourne vers vous, pointant un long doigt effilé vers l’entrepôt que vous venez de quitter, puis dit d’une voix gutturale : « Qyrl !».

Sans un mot de plus, il se détourne et plonge dans les flots pour disparaître de votre vision. Un aileron apparaît alors brièvement sur la ligne de flottaison puis s’enfonce dans les eaux…

Le hurlement de sirènes de voitures de police se fait maintenant entendre en approche rapide.

J'ai un bref instant d'incompréhension quand notre étrange adversaire émet ce seul mot, puis je réprime un mouvement en direction de l'eau quand je le vois plonger sans un regard en arrière. Non, ce n'est vraiment pas mon domaine, et l'aileron qui ne tarde à apparaître me laisse à la fois songeur et conscient que franchir le pas n'aurait rien amené de bon.

Les sirènes me tirent rapidement de mon bref songe, et après un regard en direction de ma compagne d'infortune, et ces quelques mots Je vais la chercher ! je me mets à courir le plus rapidement possible vers l'intérieur de l'entrepôt, en direction de la dépouille de la louve, que je ne compte certainement pas abandonner ici, quand bien même il me faudrait prendre des risques pour cela.

Je hausse une sourcil quand nous rejoignons cet personne qu'avait repéré le loup. Je hausse un sourcil quand à ses paroles, bien que son doigt en direction de l’entrepôt et sa nature me laisse présager qu'il s'agit de la dénomination de nos adversaires.

Malgré tout le temps n'est pas à la réflexion et nous sommes tiré de l'observation du fera par le chant des sirènes des services de police. J'ai à peine le temps d'un regard que l'homme est déjà partis chercher sa compagne d'infortune. Je me met à courir à toute allure derrière lui... hors de question que je laisse mon frère ici. Je me permet de lui dire quelques mots avant qu'il ne soit pris d'un fâcheux réflexe. Surtout ne passe pas par l'Umbra.

Les gyrophares commencent à répercuter leurs lumières vives sur les édifices en tôle du port, alors que l’un à la suite de l’autre, vous replongez dans les ténèbres du funeste entrepôt. L’éclairage déficient clignote après la terrible entrée de l’engin de chantier, mais vous n’avez aucun mal à retrouver les corps de vos frère et partenaire. Une immense tristesse s’empare de vous devant le spectacle du travail de destruction des forces du Ver. Le harano menace de lever son voile sur le cœur de Gipsy, tandis qu’une douleur infinie enserre l’âme de Nihahsah. L’arrivée des forces de sécurité locales vous poussent néanmoins à agir vite. Vous ramassez les dépouilles de vos proches avant de prendre la direction à celle des nouveaux arrivants.

L’orbe lunaire trône dans le ciel nocturne et éclaire votre fuite. Il n'est néanmoins d’aucune utilité pour vous donner une direction à suivre….

Tandis que nous nous éloignons dans le silence du lieu du drame je reste silencieuse, perdue dans des pensées tout sauf agréables, portant le corps brisé et sans vie de mon frère dans mes bras.
Quand j'estime que l'on c'est assez éloigné de la police je m'arrête et posé délicatement de corps sur le sol. On va pas pouvoir se promener comme ça... Je vais déjà essayer de voir ou on est, il faudrait voir si l'on peut passer par l'umbra peut être, un peu plus loin ? Je ne suis pas certaine de mes paroles, l'umbra n'est pas quelque chose d'aussi instinctif chez moi qu'il l'est chez le loup. Ma voix est brisé, et je renifle bruyamment en attendant une réponse et en sortant mon téléphone.

Sans un mot, la gorge serrée, je ramasse le corps sans vie de la louve avec d'infinie précautions, et en la serrant contre moi, je suis la Mokolé dont la situation est douloureusement semblable à la mienne.

Nous nous sommes éloignés de l'entrepôt lorsqu'elle brise le silence, rejoignant par ses mots mes propres constats qui pourtant seraient restés lettre morte sans son intervention, trop occupé que je suis à ressasser ce qui vient de se produire.

Va pour l'Umbra ! je me résous à lui répondre, la voix basse et grave, pleine d'une émotion contenue difficilement maintenant que le feu du combat est passé.
Puis nous parlerons, j'ai des choses à te confier qui malheureusement ne pourront pas attendre longtemps, car je ne sais quelles conclusions relatives à tout cela tu pourrais tirer. Moi je ne sais pas grand chose de ce qui se déroule ici, si ce n'est que le Grand Ver a étendu ses tentacules corrupteurs.

Prudemment, et sans lâcher mon fardeau, je cherche la moindre surface réfléchissante avant d'entreprendre le passage du Goulet.

Vous vous éloignez aussi vite que possible malgré la charge que vous transportez l’un et l’autre. Lorsque vous vous estimez suffisamment loin de la lumière des gyrophares, vous prenez le temps de faire une pause. A la suggestion de la jeune africaine, vous tentez l’un et l’autre d’observer la Penumbra.

Gipsy, un carreau de fenêtre à moitié cassée et l’éclairage défaillant d’un néon te servent de focus pour percer le Goulet. Du coin de l’œil, tu peux voir que la Mokolé n’en fait pas de même, mais serre un bijou suspendu à un collier qu’elle porte autour du cou. Ton regard perce alors le voile et tu deviens inconscient de la réalité de Gaïa…

L’odeur d’abord. Une odeur âpre. Semblable à celle de l’océan, mais dénaturé par des effluves qui ressemblent à celles de l’essence. Et puis la grisaille, absolue. Les entrepôts successifs de la réalité ne sont devenus que de vagues formes dénuées de concret, tout comme la ville dont les reflets ne sont que des silhouettes indistinctes dans le gris total. L’Umbra est morte ici, loin de sa richesse que tu as pu lui connaître en d’autres lieux. Avec la vue dégagée, tu peux apercevoir au loin le reflet océanique. Un goût d’amertume t’emplit la bouche. Noir et dénuée de vagues, il ressemble à une tâche d’huile. Une nappe de pétrole qui s’étendrait à l’infini. De sombres bulles éclatent parfois à sa surface, libérant des gaz verdâtres qui emplissent l’air de leur puanteur. Des cris te parviennent tandis que des esprit difformes de tailles différentes affleurent au-dessus des eaux polluées. Ils se chamaillent entre-eux, inconscient de ton observation, mais tu comprends à quel type d’adversaires Léa Fléau-des-esprits a fait face. Malgré sa réputation, la Théurge n’avait aucune chance face à la multitude des Flaïels.

Tout cela ne peut porter qu’un nom : une Fosse.

Lorsque tu estimes en avoir assez vu, ton regard reprend contact avec la réalité de Gaïa. Nihahsah, un air de frustration sur le visage t’observe, comme en attente.



Gipsy : Jeter un oeil [Gnose (Difficulty: 9)= 2 Succès]
Nihahsah : Jeter un oeil [Gnose (Difficulty: 9)= 0 Succès]

C'est un frisson d'effroi et de colère mêlés qui me parcourt l'échine lorsque je contemple, interdit, l'horreur qu'est devenue le monde spirituel dans cette région. Mais que s'est-il donc passé, et comment avons-nous pu, tous autant que nous sommes, laisser une telle chose de produire ? Ce lieu est une fosse, une fosse gigantesque et à ciel ouvert...

Je romps le contact, l'amertume en bouche essayant de contenir un hoquet de dégoût qui le dispute à une poussée de Rage pure.
Mon regard qui reflète cette dualité se perd un instant sur le sol de béton maltraité par le soleil et le sel, avant de se porter sur Nihahsah.

Cet endroit... Cet endroit est une fosse, les Flaïels s'y bousculent, c'est un véritable enfer. Nous ne pouvons pas entrer ici, il faut s'éloigner encore. Peut-être trouver un véhicule, ou un refuge où nous organiser pour ne pas trop attirer l'attention. Peut-être connaîtrais-tu quelqu'un que nous pourrions contacter pour venir nous chercher ? Cela serait sans doute la solution la moins risquée il me semble.

J'accueille l'horrible nouvelle avec un certain recul, un peu anesthésiée par les événements successif. Pas étonnant qu'ils se soient permis de nous attaquer de la sorte. Je repense alors au Rokea que nous avons croisé et ne peut retenir un frisson d'horreur quand à l'environnement que nous leurs laissons... Je répond en crachant littéralement. En même temps il n'y à qu'à voir comment toute vos compagnies pillent et détruisent nos terres, et ça t'étonne ?!. C'était gratuit et pas du tout mérité pour mon compagnon d'infortune mais j'ai besoin d'expulser toute cette colère, tristesse et frustration. Je soupire, au bord des larmes tout en sortant mon téléphone la voix brisée et la gorge douloureuse. Je compose le numéro de ma mère que je connais par cœur portant l'objet à mon oreille.

Maman, c'est moi... Non. Oui... Il est... Je suis désolée maman je n'ai pas réussie à le protéger. Alors que je fond en larme de la manière la plus discrète possible je rajoute. J'ai besoin que tu viennes nous hercher, je ne suis pas seule. On est à côté des docks, dis-je en lui donnant un maximum de repère géographique. Fait attention il y a la police qui se trouve de l'autre côté des docks. A tout de suite.

Je raccroche le téléphone, et n'y tenant plus je accroupie et pose mon front contre celui de mon défunt frère. Je suis secouée de spasmes, des larmes coulant le long de mes joues et ma bouche ouverte en un long et silencieux cris.

Les dures paroles de la jeune femme me touchent profondément, même si j'essaie de contenir mes émotions au milieu du tumulte qui m'habite déjà.
"Nos" compagnies ? Oui, peut-être, le Ver a pris racine en Europe depuis les origines, et l'évolution de "notre" partie du monde n'a fait que le renforcer, sans que la Nation Garou ne puisse réellement s'opposer à cette tendance de fond.
Mais dans "nous" il y a "je". Et l'espace d'un instant, cette remarque me ramène à l'immense solitude qui est ma compagne de chaque jour. Je ne suis pas chez moi ici de son point de vue, pourtant c'est bien dans ce continent que ma Tribu trouve ses origines qu'elle n'a toujours pas pu reconquérir. Et je ne suis pas de là-bas non plus, le Vieux Continent, d'après ce que j'en sais de l'accueil suspicieux que je reçois où que je passe...
Je m'aperçois à quel point nos divisions sont profondes et dévastatrices, à quel point nous aurions intérêt à coopérer, à discuter, à aller au-delà du fossé qui s'est creusé. Facile à dire...

Je ravale la moindre répartie, toujours accroché telle une épave sur un océan d'hostilité à la dépouille de Léa la fière louve tombée si loin de chez elle.
La tête basse, je m'efforce de repousser le Harano qui enserre mon coeur en écoutant d'une oreille distraite Nihahsah contacter les siens, puis verser de chaudes larmes de détresse pure sur le corps de son propre frère.

Je reste figé sur place, il serait déplacé de parler dans de telles circonstances, et je n'en ai pas la moindre envie.

Quelques 45 minutes, une éternité dans votre situation, s’écoulent avant que n’apparaisse le pick-up Toyota de Susilawati N’Diaye. C’est une femme effondrée qui en descend, son visage est ravagée par des larmes qui ont dû coulé tout le long de son trajet. Elle se jette sur la dépouille de son fils.

- DJIBRIL… Mon fils ! Pourquoi ? Pourquoi ? Le reste se perd dans une langue que Gipsy ne comprend pas, mais qui est une supplique à Gaïa dans la langue Yoruba. Elle tient son fils contre elle, oblitérant par là-même complètement votre présence. Elle reste ainsi un long moment, berçant son défunt fils en chantonnant pour lui.

Lorsqu’elle redresse son visage inondée de chagrin, elle regarde Nihahsah :

- Pourquoi ? Pourquoi lui a-t-on fait ça ?

Prostrée, elle semble chercher une réponse dans le visage de sa fille.

Le regard humide des larmes ayant creusées des sillons sur mes joues; Les yeux déjà gonflés du poids de ma peine ; je regarde, silencieuse et mortifiée au plus profond de mon âme une mère pleurer son enfant, ma mère pleurer mon frère que j'ai failli à protéger.
Mes yeux se voilent tandis que je me remémore des jours heureux. Nous tous assis autour de la table, chahutant et rigolant, mon père grondant faussement Djibril et Mélissandre tandis que ma mère et moi apportions les plats pour le plaisir de tous... Je pourrais presque encore sentir l'odeur des plats dont les épices embaumaient la maison jusqu'au soir; écouter les rires de la fratrie et goûter la joie qui exaltait notre maisonnée. Mais tout cela me semble si loin. Si loin et... inaccessible.

Je reviens au présent alors que ma mère me pose la question fatidique. Cette question dont je ne connais pas la réponse exacte. Mais je me reprend, je n'ai pas le temps de faire le deuil, pas le droit de pleurer seulement mon frère quand tant d'âme dédiées à Gaïa chutent chaque jour. Il est temps que j'embrasse ma destinée vengeresse au nom de l'Afrique, au nom des Yoruba, au nom des Mokolé, au nom de Djibril... Le grand corrupteur nous l'a enlevé... Il a posé son regard sur nos terres. Une tempête est en train de se lever, et je crois que nous sommes dans l’œil du cyclone.

Je l'arrache à l'étreinte du défunt tout en la serrant très fort contre moi, ma tête reposant sur la sienne. Cette étreinte représente toute ma peine, tout mon amour et toute ma force que je lui transmet. Finalement, après un instant qui aurait aussi bien pu être un siècle qu'une seconde je m'écarte d’elle pour introduire mon allié de fortune et la louve qu'il transporte avec lui. Ils se sont battus à mes côtés et m'ont aidés... Mère, nous devons partir d'ici. Je serre ses mains dans les miennes, dans une promesse muette de trouver ceux ou celle qui ont fait ça à défaut d'avoir pu l'empêcher. Une flamme farouche c'est allumée dans mon regard, un feu que rien ne saurait arrêter.

Je me rend compte que je ne connais toujours pas leurs noms, mais j'ai d'autres considérations, mon esprit se battant avec mon cœur pour tenter de rester lucide dans l'enfer que je vie sur l'instant.

J'observe la scène respectueusement, la bile dans la bouche et les intestins noués. Qu'y a-t-il de pire pour une mère que de perdre son enfant ?

Je me sens affreusement mal, déplacé, seul, légitime mais intrus malgré tout,  frère mais en même temps étranger.
Aucun mot ne me vient, de toute façon rien ne peut apaiser certaines peines. Et quand je vois luire le regard déterminé et mortel de la belle Mokolé, je ne peux m'empêcher de craindre que ces victimes en appellent d'autres. Car je sais à mon corps défendant que la seule vengeance, bien que légitime et naturelle, n'est jamais bonne conseillère.

Quand les regards embués de larmes se tournent vers moi, je me contente d'un discret salut de la tête à la mère de Nihahsah, plein de respect et de compassion sincères, sans chercher à cacher que je porte entre mes bras mon propre fardeau,  qui me pèse lourdement dans les tréfonds de ma conscience.

Je me prépare ensuite à embarquer dans le véhicule dès lors que j'y serais invité.

Moment suspendu autour de la mort. La douleur de la perte d’une mère et d’une sœur. L’isolement d’un étranger sur une terre inconnue. Le temps s’est arrêté alors que l’orbe lunaire daigne enfin percer brièvement les nuages épais qui obscurcissaient un peu plus une nuit déjà emplie de ténèbres.

Susilawati N’Diaye regarde longuement sa fille, serrant toujours contre elle la dépouille de son fils. Puis, comme le ferait un robot, elle hoche la tête dans sa direction. Ses yeux sont brouillés de larmes lorsqu’elle se relève et dit :

- Aides-moi à installer Djibril derrière.

Précautionneusement, vous disposez le corps dans la benne du pick-up. Puis, comme si elle prenait enfin conscience de sa présence malgré la présentation antérieure de Nihahsah, elle regarde Gipsy et l’autre corps qu’il tient dans ses bras.

- Veuillez m’excuser, je… Cette situation est tellement… Les larmes manquent d’affluer à nouveau mais elle se reprend. Venez, nous allons vous aider.

Vous allongez le corps sans vie de Léa à côté de celui de  Djibril, puis Susilawati s’adresse à nouveau au Loup :

- Si ça ne vous dérange pas trop, c’est peut-être mieux que vous conduisiez… Je ne suis pas en état et je connais suffisamment ma fille pour savoir qu’elle ne l’est pas non plus.

Avec l’accord de Gipsy, vous montez tous les trois dans la double-cabine du pick-up, tandis que Susilawati reprend :

- Prenez à gauche s'il vous plaît. Puis, à sa fille: Retournons chez Papa Opeyemi. Il saura quoi faire. Mélissandre est chez des amis, je pense qu’elle ne craint rien là-bas.

Elle ajoute, tout bas :

- Du moins je l’espère.

Je laisse le loup prendre le volant et se faire guider par ma mère. Je passe le voyage à regarder par la fenêtre, le visage de la ville s'étalant devant au fur et à mesure de notre avancée tandis que nous nous dirigeons nous, nos morts et le loup en direction du lieux de couvée du vieux Papa Opeyemi, où j'étais plus tôt dans l’après midi.

Je me pince l'arrête du nez, vaine tentative pour arrêter le mal de tête qui me guette après avoir versé tant de larme et acquiesce silencieusement quand à la direction prise par ma mère ajoutant d'une voix blanche à la fin de sa phrase. Moi aussi.

J'observe alors intensément le conducteur, puis ma mère avant de le questionner d'un ton résigné. Quel est ton nom ? Et sans vouloir paraître offensante, quel est la raison de la présence de deux loups, seuls ici dans ces terres qui vous sont hostiles, à juste titre ?

La tragédie qui nous enserre de son étreinte implacable a marqué les coeurs et les esprits.
Aussi, quand la jeune africaine après m'avoir demandé de me présenter se perd dans une notion de soit-disant justice, je ne relève pas son attaque, car mon esprit vagabonde déjà, aussi bien sur des considérations actuelles que passées.

Il fut un temps où chaque être vivant était libre d'aller et venir comme bon lui semblait. Il fut un temps où les guerriers de Gaïa se battaient pour elle où que les conflits éclataient. Il fut un temps où tous les enfants de notre Mère contribuaient ensemble à ces combats.
Ce temps est révolu, et la Nation Garou, stupide idée s'il en est, est à l'origine de cet état de fait. Aurons-nous la sagesse de passer outre et d'unir nos forces, ou laisserons-nous l'Apocalypse avoir raison de nos divisions ?

Je me rappelle de cette réunion du Sept et de la prophétie de Hérisson. Je me rappelle de Pattes Agiles et avant lui de mon Mentor, Edad, m'accordant leur confiance. Tellement de choses sont en jeu, ce combat est aussi celui de l'union contre la division, du rassemblement contre un ennemi commun implacable.

Comme sourd aux derniers mots de la jeune femme, un sourire sans joie mais agréable néanmoins orne mon visage triste et marqué par la peine, lorsque je réponds d'une voix douce dans laquelle j'efface toute trace d'agressivité.

Je suis Gipsy Fils-du-Vent et j'appartiens à la tribu des Arpenteurs Silencieux.
Je ménage ensuite une courte pause pour bien marquer l'importance de ce qui va suivre.
Léa et moi avons été envoyés ici en raison d'une prophétie, que Hérisson dans sa sagesse nous a révélée. Une grande menace pèse ici, liée au réveil de quelque chose, qui pourrait mener à l'Apocalypse.
Nous surveillons depuis longtemps la société Total et il semble que tout cela soit lié à ses activités. Devant les enjeux, nous avons décidé qu'il fallait apporter notre aide, même si pour cela il fallait venir jusqu'ici et se heurter aux vieilles rancunes...

Je continue de fixer la route tout en parlant et n'en dis pas davantage, estimant que cette rapide explication devrait suffire à répondre aux principales interrogations sur la raison de notre - ma, maintenant - présence ici.

La route défile tandis que le pick-up file en direction du nord-est de la ville. Cité de contraste, Lagos étale ses contrariétés : towers du centre-ville qui rayonnent de mille feux dans l’obscurité de la nuit, bidonvilles de bric et de broc où l’eau potable et l’électricité ne sont que de doux rêves, bâtiments inachevés dont la construction s’est arrêtée car les fonds ont été siphonnés par quelques politiques corrompus, jeunes adolescentes trop maquillées qui vendent leurs charmes à des hommes qui oublient la dure réalité de leur vie dans l’alcool… Grandeur et décadence d’une ville aux portes de l’enfer, prête à être cueillie par le Ver comme un fruit trop mûr qui tomberait de l’arbre.

Même à une heure si tardive, la circulation est dense, des fêtards à moitié saouls traversent devant des taxis qui roulent trop vites, frôlant une mort dont ils n’ont même pas conscience. Gipsy doit se montrer prudent dans sa conduite, mais près de 30 minutes plus tard vous arrivez aux abords de la cité lacustre. Susilawati te guide sur les chemins boueux  et vous parvenez finalement devant la demeure du vieux Opeyemi : une maison de bois montée sur pilotis qui s’avance sur les eaux de la lagune. Une petite lampe à pétrole éclaire faiblement la terrasse qui fait face aux étendues marines.

Deux formes indistinctes sont assises autour l’éclairage…

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